"Je suis un produit d'avant-guerre. Je suis né dans un ventre corseté, un ventre 1900.
Mauvais début.
Ils pataugeaient dans le chemin des pauvres, mon père de vingt ans et ma mère, qui devait avori bien du charme avec sa trentaine ; j'en juge d'après les photographies que j'en ai vues.
Ils se sont rencontrés. Mon père, sur l'instant, se fit tatouer un coeur allégorique, traversé d'une flèche, sous le biceps gauche, parce qu'il était amoureux. Ils se sont mis "à la colle", c'est l'expression de ce temps, je suis venu, et on est parti tous les trois.
Tas petit de chair molle, oublié au fond d'un tiroir de commode aménagé sommairement en berceau, j'ai fait ma collection d'images. J'ai empli mes yeux vides avec les fleurs du mur ; la flamme remuante et plusieurs fois pointue de la lampe à pétrole ; les lézardes sinueuse, sombres sur le plafond gris.
Bercé dans les grands bras solides, confiant, serré contre une poitrine chaude, j'ai eu les bons jours de la vie dans le vide.
Rien que du chaud.
Le lait blanc, en jet, du corps de ma mère et qui chatouille le gosier ; l'odeur de la bouche de mon père, tabac et Pernod mêlés, qui venait chez moi, au travers des poils de moustaches noirs, en même temps que des mots ; la marche des mains sur la peau de mon corps, caresse qui partait du nombril et remontait jusqu'à la gorge... la p'tite bête qui monte, qui monte, qui monte... Kirikiriki...
Par la fenêtre-tabatière, le soleil, en rayons, entrait et me trouvait dans mon tiroir. J'en avais plein la figure.
Le bain de ciel.
Dans cette même lucarne, il y avait la ville, Paris, et les pointes d'glises embrumées jusqu'à la nuit. Jusqu'à la lune. A ce moment, et d'un coup, les hommes avec leurs fenêtres faisaient des tas d'étoiles.
Tout cela, et les jeux de pieds dans l'air, me faisait bien rire, souvent et bruyamment.
Je rigolais ma vie.
Pendant des mois, je fus muet. Mes petites affaires, je les gardais pour moi, derrière le front. Et puis, les mots de grandes personnes sont sortis, d'abord "papa", ensuite tous les autres.
Vint le contact des pieds sur le sol dur. Premiers pas, tenu par un volant de ma robe blanche, et chutes. Quelques temps encore j'ai joué à "Tu me tiens, je te tiens par la barbichette", la main serrée sur le boue paternel, jusqu'au beau jour où, lâchant les saillies, je suis parti dans un élan, château branlant, sur mes jambes courtes.
Je suis descendu dans l'impasse pour faire des échanges de mots et des conversations de phrases brèves avec de petits amis, près de la pompe.
Mon épingle était dans le jeu."
Henri CALET "La belle lurette" Gallimard (collection l'imaginaire) .
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